Les organisations d'aide humanitaire ont une part de responsabilité dans les attentes parfois exagérées qu'elles suscitent.
Depuis plusieurs années, les ONG sont sur le devant de la scène dès qu'une catastrophe naturelle survient, qu'une guerre se déclare, ou dès que des populations se retrouvent dans un besoin vital, créant des attentes auxquelles les ONG ne peuvent pas, c'est un fait, toujours répondre. Pour preuve, le désenchantement des populations censées bénéficier de leur aide, comme en Haïti, ou encore l'augmentation des enlèvements des humanitaires. Comment en sommes-nous arrivés là?
Pour comprendre cette nouvelle situation, il faut d'abord se demander ce que les ONG incarnent, notamment sur le plan des valeurs. "Ce qu'apporte, en réalité, l'action humanitaire à l'opinion, c'est une sorte de monde à part conjuguant tous les traits de l'héroïsme moderne", explique Maëlis Borghese dans Les ONG dans la tempête mondiale.
L'humanitaire, une nouvelle croyance populaire
Depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, l'humanitaire semble être la nouvelle croyance morale populaire comme ont pu l'être le communisme ou le tiers-mondisme à d'autres époques. "Qu'ils aient été traumatisés par l'échec du communisme [?] ou, dans une époque de désenchantement du politique, qu'ils aient simplement besoin d'un lieu où placer leurs aspirations utopiques, de nombreux Occidentaux ont trouvé dans l'idéal humanitaire quelque chose qui était en accord profond avec leurs attentes morales revues à la baisse", juge David Rieff dans L'humanitaire en crise. Les jeunes de l'an 2000 en quête de sens plébiscitent ainsi les ONG "face à une Eglise moribonde, une Armée déchue, un Etat-providence en panne".
Les ONG elles-mêmes ont évidemment leur part de responsabilité dans les attentes énormes qui ont été placées en elles. Concrètement, elles ont alimenté la mise en place de cette "fable morale" humanitaire. Pour surfer sur leur popularité grandissante et aussi, accessoirement, récupérer de l'argent, elles ont dû raconter une histoire. Développer la croyance selon laquelle les humanitaires pourraient changer le monde. Or, comme le résume Sadako Ogata, ex-haut commissaire aux réfugiés des Nations Unies: "Il n'y a pas de solutions humanitaires aux problèmes humanitaires".
Le mythe de l'humanitaire tout puissant
A l'origine de la construction de ce mythe, il y a l'alliance des humanitaires et des médias. Comme l'écrit Pierre Micheletti dans Humanitaire, s'adapter ou renoncer, "L'alliance avec les médias est fondatrice de la dynamique contemporaine des associations humanitaires". Cette dynamique contemporaine prend naissance avec la guerre du Biafra, il y a quarante ans, qui a marqué le début du sans-frontiérisme.
Bernard Kouchner a impulsé une tendance: les ONG ont besoin des médias pour exister, d'autant plus que la concurrence fait rage pour gagner le c?ur des donateurs. Il faut "se rendre obligatoirement visible au journal de 20 heures", "planter son drapeau" "dans toutes les crises médiatisées", note Christian Troubé, dans L'humanitaire en turbulences.
On se souvient par exemple du célèbre slogan de MSF en 1976: "Dans la salle d'attente de MSF, 2 milliards d'hommes". Le non-dit était clair: "Si les moyens nous sont donnés, nous pouvons résoudre le problème". De même, en 1989, ACF fait placarder dans toute la France des affiches proclamant "Nous pouvons vaincre la faim" mais le "pouvons" est barré et remplacé par "allons" en lettres rouges.
Cette année encore, les lettres d'appel aux dons de l'UNICEF portaient les mots suivants: "des milliers d'enfants sont entre la vie et la mort".
Aujourd'hui, l'humanitaire n'a jamais été aussi puissant, prenant une place dans les sphères politique, militaire ou encore au sein des institutions internationales. Certes, les ONG sont devenues plus modestes dans leur communication, affichant moins clairement leur ambition de changer le monde. Il n'empêche: le mythe humanitaire perdure en Occident, comme dans les institutions internationales.